Le vaccin contre la Covid : un sujet de politique de santé publique ?

La vaccination est l’un des facteurs principaux qui ont permis à l’espérance de vie humaine de tripler en 250 ans. Son principe a pour effet :

1) de protéger les individus vaccinés (selon les vaccins et les maladies, une personne vaccinée a de 2 à 20 fois moins de chances de contracter une maladie qu’une personne non vaccinée),
2) et de diminuer le taux de présence de la maladie, et par conséquent de sa propagation, dans la population. Certaines maladies ont ainsi été éradiquées.

L’efficacité comparée des vaccins reste une question secondaire en matière de santé publique, tant que leur sécurité reste similaire : tous contribuent à diminuer le taux de présence de la maladie, et protègent, parmi ceux qui les ont reçus, un nombre d’individus amplement plus grand que le nombre de ceux que le vaccin pourrait rendre malades.

Le vaccin et la vaccination sont donc, clairement, des éléments essentiels d’une politique de santé publique.

https://www.lanouvellerepublique.fr/a-la-une/vaccin-efficace-a-90-qu-est-ce-que-signifie-ce-chiffre
https://www.ined.fr/fr/tout-savoir-population/graphiques-cartes/graphiques-interpretes/esperance-vie-france/

Un sujet de politique économique ?

La santé est un poste primordial du budget des Etats et des habitants des pays de l’Union européenne : aux alentours de 10% du PIB de chaque Etat membre. C’est 15 fois plus que ce qu’ils dépensent pour leur consommation d’énergie fossile ! C’est 10 fois plus que leurs dépenses militaires ! Une telle proportion fait de la réponse à cette question une évidence : la santé est un sujet éminemment économique.

La complexité de la production de produits et équipements de santé – de la recherche à la distribution, en passant par la validation, la fabrication à la chaîne, le conditionnement et le transport – font que les acteurs du secteur sont innombrables. La globalisation de l’économie a aussi conduit à ce que cette « chaîne de valeur et d’approvisionnement » soit distribuée à travers la planète, et les interdépendances entre acteurs, multiples et quasi intraçables.

Un sujet de politique internationale ?

De la même façon que la dépendance énergétique contraint la politique internationale d’une nation, quelle qu’elle soit, sa dépendance en termes de produits et équipements de santé conduit à mettre en place des stratégies d’approvisionnement. Une différence de taille, toutefois : là où la dépendance énergétique est notable à court terme et quotidiennement (le prix de l’essence à la pompe, visible par tous), la dépendance aux produits et équipements de santé n’est visible qu’en situation de crise, comme illustrée par la pandémie de Covid.
Ainsi, l’état d’un système de santé se mesure à l’aune d’une crise, comme celui d’une capacité de défense nationale se juge à celle d’une guerre. L’orgueil national entre en jeu, parce que c’est bien d’un « système national » dont il s’agit, et donc du reflet des réalisations d’une société et d’une population, à la fois dans le présent – la réaction à la crise – et dans le passé – la préparation invisible à la crise.

Un sujet de politique politicienne ?

Cette relative similitude entre capacité de défense nationale et résilience du système de santé se traduit, en démocratie, par un dilemme pour les élus et l’exécutif : comment satisfaire l’opinion publique, souvent préoccupée en priorité par le court terme et le consumérisme, tout en investissant dans le peu visible (et donc, peu électoraliste …) pour que la sécurité et la santé publique soient garanties en cas de crise – guerre ou pandémie, par exemple. La démagogie, nécessaire à la victoire électorale en démocratie, s’oppose, sur ces sujets, à la raison et la responsabilité.
En situation de crise, la démagogie est facteur d’instabilité, ce que les Etats ennemis ont bien compris depuis des siècles. Une pandémie, que seul un vaccin semble pouvoir enrayer, fait précisément de ce vaccin un sujet de choix pour les démagogues, de l’intérieur comme de l’extérieur.

De ces quelques réflexions découle un constat : tout étant mondial dans la situation Covid actuelle, du problème (une « pandémie ») à la solution (la fourniture de vaccins), le terrain est fertile pour que tous les ingrédients de la géopolitique s’expriment. Les vaccins ont chacun un drapeau (alors qu’en réalité ils en ont tous plusieurs). Les contrôles sont multiples : tel pays détient des brevets, tel autre de la matière première, un troisième les principales chaînes de production, un quatrième contrôle des voies d’acheminement, un cinquième la certification des vaccins … Chaque « grande puissance » avance ses pièces, chaque « petit pays » joue au mieux ses cartes.

Quid de Spoutnik V, dans tout cela ? Comme tous les autres vaccins proposés contre la Covid, il est instrumentalisé à des fins économiques, politiques, géopolitiques : par les Russes comme par les autres. En termes de santé publique, c’est une contribution à la réponse globale contre la pandémie.

https://www.revmed.ch/covid-19/Securite-et-efficacite-du-vaccin-Sputnik-V

Pour ce qui est de son effet sur la santé publique, l’efficacité du Spoutnik V apparaît comparable aux autres vaccins en circulation. Même s’il était légèrement moins protecteur, son déficit n’influencerait pas sensiblement l’immunité collective recherchée.

Pour ce qui est des aspects économiques, son coût de production est comparable aux coûts de production des autres vaccins « classiques », à l’exception des vaccins à ARN messager. Toutefois, la Russie, dans ce domaine, est moins inscrite dans la globalisation : la chaîne de valeur et d’approvisionnement du Spoutnik V est plus locale : plus maîtrisée, donc, mais plus limitée, plus éloignée d’une clientèle mondiale éventuelle, avec les risques associés à une grande concentration. L’infrastructure industrielle en Russie, où le poste de la santé ne représente que 7% du PIB (soit 2/3 des taux en vigueur dans l’Union européenne), n’est pas suffisante pour satisfaire les besoins, et la renforcer, dans un système peu ouvert et peu flexible, prend du temps.

Sur la scène internationale, le gouvernement russe joue du vaccin comme des autres symboles traditionnellement érigés par les nations : la fusée, le tank, les troupes qui défilent, les grandes manœuvres aux frontières, le vaccin. Dans son style habituel, le Président Poutine joue à celui qui a la plus grosse. Ou plutôt, il a commencé à le faire… puis il est devenu étrangement silencieux sur le sujet, au point qu’il n’y a pas de photo de lui se faisant vacciner – étonnant de la part de ce chef d’Etat dont la poitrine nue a maintes fois été photographiée et diffusée dans les media. D’abord prolixe sur le fait que « 55 pays ont demandé des doses à la Russie », le pouvoir en Russie a pris connaissance du fait que la population russe semble avoir plus peur du vaccin que de la Covid …

Les premières constatations découlant d’études scientifiques entreprises en 2020, et de sa propre initiative, par l’Agence européenne du médicament, n’étaient pas pessimistes. Ceci aurait dû encourager la Russie à y déposer rapidement le dossier du Spoutnik V pour habilitation. La Russie a pourtant attendu mars 2021 pour le faire ! Sans doute le rythme de production est-il lent en Russie, qui a vacciné beaucoup moins que les pays européens, notamment en raison de ruptures d’approvisionnement.

https://www.linternaute.com/actualite/guide-vie-quotidienne/2535028-vaccin-spoutnik-v-une-homologation-retardee-le-bras-de-fer-russie-ue-continue/
https://www.dw.com/en/putin-gets-his-covid-jab-as-russians-stay-away-from-sputnik-v/a-56963871

C’est d’une certaine manière la politique politicienne, la contrainte de l’opinion populaire dans son pays ; donc des questions de politique intérieure, qui ont remballé l’arme du Spoutnik V dans les armoires du Président Poutine : même les malheurs du vaccin AstraZeneca ne l’en ont pas fait ressortir.

La question à suivre : Quid des vaccins chinois, alors qu’en date de fin mars 2021, aucun dossier de demande d’autorisation les concernant n’a été déposé à l’Agence européenne du médicament.

https://www.lecho.be/economie-politique/international/asie/les-vaccins-chinois-ont-demontre-leur-surete-selon-l-oms/10294976.html

D’autres questions : Comment va se stabiliser le secteur de la production de vaccins contre les coronavirus ? Les productions actuelles sont toutes extrêmement subventionnées, ce qui constitue une situation intenable sur le long terme, la population mondiale ne nécessitant pas autant de vaccins différents. Les vaccins à ARN messager vont-ils, dans ce domaine, supplanter les vaccins « traditionnels » ? Comment les Etats (ou les groupes d’Etats comme l’Union européenne) vont-ils pouvoir maintenir au maximum leur contrôle sur la chaîne de valeur et d’approvisionnement ?

A suivre, donc…

Par Michel BOSCO, ancien haut fonctionnaire de la Commission européenne